Rupture de crédit de l’entreprise et procédure collective : Quid de la responsabilité de la banque ?
En matière de crédit à durée déterminée, celui-ci prend fin à l’échéance convenue par le contrat, sauf hypothèse de la reconduction tacite prévue par une clause dudit contrat.
En revanche, une fois qu’il a été accordé par la banque, celle-ci ne peut valablement mettre un terme du jour au lendemain à un crédit à durée indéterminée, sans être susceptible d’engager sa responsabilité, a fortiori si cette rupture est à l’origine de la « déconfiture » de l’entreprise emprunteuse.
Le législateur a peu à peu encadré la matière s’agissant du crédit aux entreprises. Il s’agit des crédits accordés pour les besoins d’une activité professionnelle, ce qui exclut les prêts octroyés à des particuliers, qui ne peuvent se prévaloir des principes exposés ci-dessous. Il convenait de permettre à l’emprunteur malheureux de disposer du temps nécessaire pour « se retourner », c’est-à-dire d’être domicilié chez un autre établissement de crédit lui permettant, si nécessaire, d’honorer ses éventuels engagements antérieurs. Cela revêt un caractère vital pour les relations d’affaires de l’emprunteur.
1.- Contexte général
Mettons en exergue que ce n’est pas la rupture en elle-même qui est abusive. Il n’est effectivement pas interdit de mettre un terme à un prêt à durée indéterminée ! Ce sont en revanche les circonstances dans lesquelles la rupture intervient qui sont susceptibles d’engager la responsabilité de l’établissement de crédit ou de la société de financement.
Tout concours à durée indéterminée, autre qu’occasionnel, qu’un établissement de crédit ou une société de financement consent à une entreprise, ne peut être réduit ou interrompu que sur notification écrite et à l’expiration d’un délai de préavis fixé lors de l’octroi du concours. Ce délai ne peut, sous peine de nullité de la rupture du concours, être inférieur à soixante jours. Cela découle des dispositions de l’article L. 313-12 du code monétaire et financier.
Cela signifie que l’encadrement légal de la rupture ne trouve pas à s’appliquer s’agissant des concours à durée déterminée d’une part et des concours à durée indéterminée ponctuels d’autre part. Il convient que le concours soit permanent pour être concerné par les dispositions de l’article L. 313-12 susvisé.
Dans l’hypothèse du concours à durée déterminée, le banquier peut toutefois insérer au contrat une clause de déchéance de terme. Mais, même dans ce cas, il convient que le délai soit raisonnable compte tenu des circonstances. Rien n’interdit également aux parties de convenir d’une modification de la durée du contrat ou d’une rupture anticipée.
Nous en déduisons également qu’un découvert autorisé qui n’est pas précédé ou accompagné d’une ouverture de crédit n’est pas concerné par cet encadrement légal.
À cet égard, nous retiendrons qu’une facilité de caisse, autrement appelée « tolérance », est un débit occasionnel d’un compte non précédé d’une ouverture de crédit. Le caractère exceptionnel (dans le sens d’occasionnel) de cette facilité de caisse ne permet pas de rendre abusive son éventuelle rupture, y compris en l’absence de préavis. Sans surprise, cette appréciation du caractère occasionnel génère un fort contentieux judiciaire.
Mais une autorisation de découvert précédée d’une ouverture de crédit peut être tacite. C’est du moins ce que considère la jurisprudence. Les dispositions protectrices de l’article L. 313-12 du code monétaire et financier trouveront donc à s’appliquer en pareille occasion.
2.- Détermination du montant du découvert autorisé de manière tacite en l’absence de convention
C’est avec une forte acuité que se pose, en pratique, le problème de déterminer le montant du découvert autorisé de manière tacite par la banque. Le défaut de contrat engendre l’absence de preuve préconstituée et il appartient au juge de « retrouver » l’intention commune des parties.
La méthode du plus fort découvert, aussi usitée soit-elle, ne saurait toutefois être génératrice d’un droit acquis à l’emprunteur. Pour autant, il a été jugé que si le montant « effectif » du découvert est constamment supérieur au montant fixé, le banquier ne saurait mettre un terme à ce concours lorsque le montant utilisé est − au moment de la rupture −, inférieur au montant qui a été toléré précédemment.
3.- Durée du préavis
Il ne semble pas inutile de rappeler que, pendant très longtemps, ce sont les usages bancaires qui ont servis de « normes » retenues par la jurisprudence : trente jours s’agissant des crédits d’escompte et soixante jours pour les autres crédits.
De manière évolutive, les juridictions ont, par la suite, jugé que le banquier pouvait parfaitement se dispenser de respecter de tels usages autant qu’un délai raisonnable était respecté. Autant dire qu’une certaine casuistique s’est instaurée s’agissant de la définition devant être apportée au délai raisonnable de rigueur. Un délai de soixante jours pouvait même être jugé trop long s’il ne correspondait pas à la commune intention des parties !
C’est pour assainir le débat que le législateur est finalement venu imposer le respect d’un préavis d’un délai minimum de soixante jours, ce qu’elle que soit la nature du crédit concerné. Ces dispositions se retrouvent insérées dans l’article L. 313-12 du code monétaire et financier, sus évoqué.
4.- Le formalisme de la notification de la rupture de crédit
Il est entendu que la rupture de crédit doit être notifiée à l’emprunteur ; cela s’entend d’un acte écrit.
Au-delà, un préavis doit être respecté, pour les raisons exposées plus avant qui tiennent, essentiellement, à la conservation des droits de l’emprunteur, qui doit être mis en capacité de trouver d’autres sources de financement.
Mais ce n’est pas tout ! Sur demande de l’emprunteur, le banquier doit justifier les raisons de la réduction ou de l’interruption de crédit.
5.- Tempéraments au principe du respect d’un délai de préavis
Rien ne peut soustraire l’établissement de crédit à l’obligation de notifier par écrit la rupture de crédit. En revanche, il lui est permis, dans deux circonstances particulières, de s’exonérer d’avoir à respecter le délai de soixante jours prescrit par la loi.
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Le comportement gravement répréhensible du bénéficiaire
Le comportement gravement répréhensible du bénéficiaire du crédit permet à l’établissement de crédit d’avoir à respecter un délai de soixante jours entre la date de notification de la rupture et sa mise en application effective.
Le simple énoncé de ce cas d’ouverture permet de vite déceler le problème auquel les praticiens sont confrontés. De quelle manière pouvons-nous définir et délimiter les circonstances susceptibles d’être qualifiées de gravement répréhensibles ?
Il n’est pas douteux de considérer que la commission d’actes pénalement répréhensibles entre dans ce champ, tout comme peuvent également l’être des manquements contractuels. Tel sera le cas, par exemple, de la communication par l’emprunteur de documents financiers et/ou comptables non sincères.
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La situation de l’emprunteur irrémédiablement compromise
L’établissement de crédit pourra également s’exonérer de l’obligation de respecter un délai de préavis de soixante jours toutes les fois que la situation du bénéficiaire du crédit sera irrémédiablement compromise.
Cela s’entend de l’impossibilité manifeste de rétablir la situation de l’entreprise par le biais d’un plan de redressement réaliste et sérieux.
Il est à noter que cela n’implique pas nécessairement que la société soit placée en liquidation judiciaire, une telle situation irrémédiablement compromise ayant pu être retenue à l’occasion de l’établissement d’un plan de redressement.
6.- Procédures collectives
En matière de procédures collectives, l’administrateur a seul la faculté d’exiger l’exécution des contrats en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur. Le contrat est résilié de plein droit après une mise en demeure adressée à l’administrateur restée plus d’un mois sans réponse.
Lorsque la prestation porte sur le paiement d’une somme d’argent, celui-ci doit se faire au comptant, sauf pour l’administrateur à obtenir l’acceptation, par le cocontractant du débiteur, de délais de paiement. Au vu des documents prévisionnels dont il dispose, l’administrateur s’assure, au moment où il demande l’exécution, qu’il disposera des fonds nécessaires à cet effet. S’il s’agit d’un contrat à exécution ou paiement échelonnés dans le temps, l’administrateur y met fin s’il lui apparaît qu’il ne disposera pas des fonds nécessaires pour remplir les obligations du terme suivant.
À défaut de paiement dans les conditions définies à l’alinéa précédent et d’accord du cocontractant pour poursuivre les relations contractuelles, le contrat est résilié de plein droit et le parquet, l’administrateur, le mandataire judiciaire ou un contrôleur peut saisir le tribunal aux fins de mettre fin à la période d’observation.
Si l’administrateur n’use pas de la faculté de poursuivre le contrat ou y met fin dans les conditions du deuxième alinéa, l’inexécution peut donner lieu à des dommages et intérêts dont le montant doit être déclaré au passif au profit de l’autre partie contractante. Celle-ci peut néanmoins différer la restitution des sommes versées en excédent par le débiteur en exécution du contrat jusqu’à ce qu’il ait été statué sur les dommages et intérêts.
Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution du contrat ne peut résulter du seul fait de l’ouverture d’une procédure de sauvegarde.
Ces différentes obligations découlent, en substance, des termes de l’article L. 622-13 du code de commerce (anciennement art. L. 621-28 et antérieurement : art. 37 Loi 25 janv. 1985).
Le principe est donc que l’administrateur judiciaire est en droit d’ordonner la continuation du contrat de crédit.
Devons-nous, pour autant, considérer que dans ces conditions, le banquier n’est pas en droit de rompre le crédit ?
Sur ce point, il a été jugé par la chambre commerciale de la Cour de cassation − dans un arrêt en date du 1er octobre 1991−, que la rupture des concours bancaires continués pendant la période d’observation ne peut être justifiée pour des causes antérieures au jugement d’ouverture (Cass. com. 1er oct. 1991 : n° 89-13127). Seules des causes postérieures audit jugement sont donc susceptibles de valablement causer la rupture de crédit par la banque. Cela interviendra lorsqu’il jugera que la situation du débiteur est devenue irrémédiablement compromise.
7.- La sanction d’une rupture abusive, notamment en cas de procédure collective de l’emprunteur
Sans préjudice des deux exceptions précédentes, la rupture sera considérée comme abusive toutes les fois que l’établissement de crédit rompt le crédit sans laisser à l’emprunteur le délai de préavis de soixante jours, mais également lorsque nonobstant l’affichage officiel du respect d’un tel délai, celui-ci n’aura pas été effectivement respecté en pratique.
Il ne s’agit pas seulement de réclamer des dommages-intérêts en réparation d’une rupture abusive. En effet, la première des sanctions réside dans la nullité de la rupture ainsi qualifiée. De sorte que le banquier devra maintenir (en l’espèce rétablir) le crédit en question, ce qui est loin d’être anecdotique.
Ce n’est que si malgré le rétablissement du crédit ne permet pas de restaurer totalement l’emprunteur dans ses droits que celui-ci pourra légitimement solliciter l’allocation de dommages-intérêts en réparation de son entier préjudice, sur le terrain de la responsabilité civile, en démontrant la faute du banquier, le préjudice subi et le lien de causalité direct entre les deux. Il conviendra également d’intégrer une notion de proportionnalité entre la faute du banquier et le préjudice en découlant pour l’emprunteur (Cass. com. 4 déc. 2001 : n° 99-17664, Bull. civ. 2001 IV n° 194 p. 190).
Il va cependant de soi que, si l’emprunteur était déjà en état de cessation des paiements au moment de la rupture de crédit, il ne peut valablement poursuivre la responsabilité du prêteur pour la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire subséquente.
Si tel n’est pas le cas, il n’en reste pas moins que la rupture abusive de crédit, ayant conduit finalement à l’ouverture d’une telle procédure collective, peut donner lieu à réparation par le banquier, à raison soit de la diminution d’actif, soit de l’aggravation du passif du débiteur. C’est que ce qui a pu être jugé par la Cour de cassation, dans un arrêt en date du 21 juin 2005 (Cass. com. 21 juin 2005 : n° 02-17721).
8.- Les conséquences de la rupture de crédit justifiée
La rupture de crédit devient effective à la date de fin du préavis. Elle le devient également dès la date de notification écrite de la rupture dans le cadre des deux exceptions précédentes (voir § 5 ci-dessus) dispensant d’observer un préavis.
Ceci n’est pas sans conséquence. En effet, il appartient à la banque d’honorer les chèques émis avant cette date.
9.- Rupture de crédit et rupture de relations commerciales établies
Engage la responsabilité de son auteur et l’oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels.
Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n’était pas fourni sous marque de distributeur.
À défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l’économie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée.
Cela ne fait pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.
Lorsque la rupture de la relation commerciale résulte d’une mise en concurrence par enchères à distance, la durée minimale de préavis est double de celle résultant de l’application des dispositions du présent alinéa dans les cas où la durée du préavis initial est de moins de six mois, et d’au moins un an dans les autres cas.
Ces obligations découlent des termes de l’article L. 442-6 du code de commerce.
Les tribunaux ont eu à juger de l’épineuse question de savoir si le banquier, en sa qualité de « fournisseur de crédit », était susceptible de générer un préjudice à l’encontre de son cocontractant en mettant un terme au crédit, dans des conditions ne respectant pas les termes de cet article du code de commerce.
Le 24 janvier 2013, le tribunal de commerce de Paris a écarté la responsabilité de la banque au visa des dispositions relatives à la rupture de relations commerciales établies.
Soumettre les banques à la fois au respect des règles édictées par l’article L. 313-12 du code monétaire et financier et l’article L. 442-6 du code de commerce est effectivement une question juridique qui peut être soulevée et envisagée.
Dans la recherche de la solution, sans doute devons-nous également prendre en considération les termes de l’article L. 511-4 du code monétaire et financier. Cet article prévoit une application aux banques des règles afférentes aux pratiques anticoncurrentielles, prévues par les articles L. 420-1 à L. 420-7 du code de commerce. En revanche, il ne prévoit pas de soumettre les banques aux règles relatives aux pratiques restrictives de concurrence intégrées aux articles L. 442-1 à L. 442-10 du code de commerce.
Ce débat n’est donc pas définitivement tranché à ce jour, ce qui ouvre des perspectives aux plaideurs audacieux et innovants.