Appréciation de la proportionnalité du cautionnement du dirigeant et qualité de caution avertie

Appréciation de la proportionnalité du cautionnement du dirigeant et qualité de caution avertie

Un arrêt de la chambre commerciale de la cour de cassation vient apporter un double éclairage. Le premier concerne l’évaluation du caractère disproportionné de l’engagement de caution en présence de la garantie de la société Oséo et d’une clause du contrat stipulant que la résidence principale de la caution solidaire ne peut faire l’objet d’une inscription d’hypothèque et d’une saisie immobilière. Le deuxième est relatif à la qualité de caution avertie.

01. Les faits de l’espèce sont simples. M. Y X a procédé au rachat en 2005 de la société Crigent au moyen de l’acquisition de la majorité des parts sociales de la société Frigestion, société holding propriétaire de 100 % des actions de la société Crigent, société de fabrication d’ensembles frigorifiques.

La société à responsabilité limitée Frigestion, représentée par son gérant M. Y X, a emprunté la somme de 460.000 € auprès de la société Crédit coopératif par acte sous seing privé signé le 30 juin 2005. Par acte séparé daté du 22 juin 2005, M. Y X s’est porté caution solidaire de la société Frigestion à hauteur de 92.000 €.

La société Frigestion a été placée en liquidation judiciaire et le Crédit coopératif a déclaré sa créance pour un montant de 380.657,18 € puis a mis en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception du 11 mars 2010 M. X de régler la somme due au titre de ses engagements de caution.

02. D’un point de vue procédural, c’est par acte en date du 4 novembre 2010, le Crédit coopératif a fait assigner devant le tribunal de commerce de Pontoise M. X aux fins d’obtenir sa condamnation en principal au paiement de la somme de 92.000 €.

Par jugement rendu en novembre 2012, le tribunal de commerce de Pontoise a condamné, avec exécution provisoire, M. X en qualité de caution solidaire de la société Frigestion à payer au Crédit coopératif la somme de 92.000 € avec intérêts au taux légal à compter du 11 mars 2010 et capitalisation des intérêts, outre une indemnité de 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, accordé 24 mois de délai de paiement à M. X avec une clause de déchéance du terme, débouté ce dernier de toutes ses demandes.

Monsieur X. a relevé appel de ce jugement. Aux termes de son arrêt rendu en juillet 2014, la cour d’appel de Versailles confirme partiellement ce jugement, c’est-à-dire sauf, en ce qu’il a accordé des délais de paiement.

Monsieur X. a frappé cet arrêt d’un pourvoi en cassation.

03. Au soutien de son pourvoi, et au visa de l’article L. 341-4 du code de la consommation (dans sa rédaction applicable, issue de la loi n°2003-721 du 1er août 2003), Monsieur X. faisait tout d’abord valoir qu’un créancier professionnel ne peut se prévaloir d’un contrat de cautionnement conclu par une personne physique dont l’engagement était, lors de sa conclusion, manifestement disproportionné à ses biens et revenus, à moins que le patrimoine de cette caution, au moment où celle-ci est appelée, ne lui permette de faire face à son obligation.

Monsieur X. reprochait à la cour d’appel d’avoir exclu toute disproportion de son engagement de caution en retenant qu’il était propriétaire en indivision d’un bien immobilier et que ce bien constituait un élément de patrimoine pouvant répondre des dettes.

Monsieur X. faisait valoir que la cour avait constaté que ce bien constituait sa résidence principale et que, aux termes des conditions générales de l’assurance attachée au prêt litigieux, il était insaisissable par la banque pour le recouvrement de la créance garantie.

Dès lors, selon Monsieur X., ce bien devait nécessairement être exclu de l’assiette d’évaluation de la capacité contributive de la caution.

Il en concluait que la cour d’appel avait violé l’article L. 341-4 du code de la consommation.

La cour de cassation ne retient pas ce moyen.

En effet, si l’arrêt de la cour d’appel déféré relevait que l’article 10 des conditions générales de la garantie Oséo liant cette société au Crédit coopératif stipule que « le logement servant de résidence principale au Bénéficiaire, s’il s’agit d’un entrepreneur individuel, ou aux dirigeants sociaux qui animent effectivement l’entreprise si le Bénéficiaire est une société, ne peut en aucun cas faire l’objet d’une hypothèque conventionnelle ou judiciaire en garantie du crédit ni d’une saisie immobilière pour le recouvrement de la créance garantie », il relevait aussi que le bien immobilier déclaré dans la fiche de renseignement constitue un élément de patrimoine pouvant répondre des dettes à concurrence des engagements de caution de M. X.

En somme, la cour de cassation juge que l’article 10 des conditions générales de la garantie de la société Oséo avait pour seul objet d’interdire au Crédit coopératif le recours à certaines procédures d’exécution forcée sans modifier la consistance du patrimoine de la caution pouvant être prise en compte.

Ce faisant, dans son arrêt de juillet 2014, la cour d’appel de Versailles avait exactement retenu que cette interdiction était sans influence sur l’appréciation de la proportionnalité du cautionnement. Ce premier moyen soulevé par Monsieur X. n’est pas fondé.

Sous réserve d’une stipulation contractuelle identique dans sa portée, le principe général dégagé par cet arrêt est parfaitement transposable à une garantie consentie par BPI France.

04. Toujours au soutien de ce pourvoi en cassation, Monsieur X. contestait également le fait qu’aux termes de l’arrêt de la cour d’appel déféré, celle-ci ait rejeté ses demandes aux fins de s’entendre dire que le Crédit coopératif a manqué à ses obligations d’information de conseil et de mise en garde et, en conséquence, condamner le Crédit coopératif à lui payer des dommages et intérêts à hauteur des sommes réclamées.

Au soutien de ce moyen, Monsieur X. faisait valoir que doit être considérée comme une caution non avertie, à l’égard de laquelle l’établissement prêteur est débiteur d’une obligation de mise en garde, la caution qui ne dispose pas des compétences lui permettant de mesurer les risques encourus par son engagement.

L’article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable, antérieure à la loi n° 2016-131 du 10 février 2016, dispose que le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part.

Dès lors, Monsieur X. soutenait qu’en déduisant de ses seules compétences techniques et commerciales, ainsi que de sa qualité de dirigeant de la société débitrice principale celle de caution avertie, sans rechercher (de manière effective) s’il disposait des compétences lui permettant de mesurer les risques encourus par les cautionnements auxquels il s’engageait à titre personnel, la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision au regard de l’article 1147 du code civil susvisé.

Mais de ce point de vue, la présomption du caractère averti de la caution dirigeante est tenace. La cour de cassation considère que l’arrêt qui lui est déféré retient que le parcours professionnel de M. X… démontre qu’il a assumé des fonctions de responsabilité nécessitant des compétences techniques et commerciales, qu’il a suivi une formation spécifique à la reprise d’entreprise, qu’il s’est personnellement chargé de la constitution et du suivi des dossiers de financement en vue de l’opération de reprise complexe qu’il a montée ainsi que des négociations nécessaires à l’obtention des financements.

Il n’y pas de présomption de caution avertie du dirigeant social. Nous notons en effet que la qualité de caution avertie n’est pas automatiquement attachée au fait que le garant de l’emprunt soit le dirigeant de la société ayant la qualité de débitrice principale. En effet, la cour de cassation prend la peine d’énumérer tous les considérants retenus par la cour d’appel dans l’arrêt qui lui est déféré, ayant abouti à ce que celle-ci retienne le caractère averti de la caution (au bénéfice de laquelle le devoir de mise en garde de l’organisme financier ne peut être invoqué). In fine, elle considère que la cour d’appel a légalement justifié sa décision (au regard de l’article 1147 du code civil) et que, par conséquent ce deuxième moyen n’est pas fondé

05. Les deux moyens soutenus par la caution dirigeante à l’appui de son pourvoi en cassation n’étant pas fondés, celui-ci est rejeté !